4 juin 2015
La logique vous conduira d’un point A à un point B, l’imagination et l’audace vous conduiront où vous voulez. – Albert Einstein
3:30 am, le cadran sonne. C’est l’heure de partir! Heureusement, mes bagages sont prêts depuis belle lurette (la veille). Je me fais un lunch, j’accueille mes parents, je réveille mon mari. Les adieux sont brefs, mais tout de même chargés d’une émotion palpable. Je le sais et ils le savent aussi : ils ne retrouveront plus jamais la personne que je suis actuellement. Dès mon premier coup de pédale, tout aura déjà commencé à changer. Moi, je serai changée… tout comme ma vision des choses. Au fond, ce matin c’est un matin comme les autres. J’enfourche mon vélo avec l’idée de m’aérer l’esprit, de savourer le paysage. Or, cette fois-ci, je ne ferai pas un aller-retour ni même une boucle. Je ferai un aller simple. Un aller simple pour le voyage d’une vie.
4:50, c’est un départ. C’est mon heure préférée pour débuter une journée. Même l’heure de départ a une signification particulière pour moi, c’est l’heure à laquelle je suis née. D’une certaine façon, cette heure m’a toujours porté chance et je me plais à croire que cette aventure sera, en quelque sorte, une renaissance. Du moins, c’est ce dont j’aurais besoin.
2015 a été une année rocambolesque… Déjà 4 ans que je suis mariée et je sens que j’ai atteint un point de non-retour dans ma relation. Cet amour adolescent, le seul véritable amour que je connaisse vraiment, rencontré à l’école secondaire Des Pionniers dans le cours de mathématiques 436 de Mme Martin. D’ailleurs, Mme Martin reste l’une des enseignantes qui m’a le plus marquée à ce jour. Il y a quelques mois à peine, j’ai appris son décès accidentel et cela m’a profondément attristée. Cette femme beaucoup trop jeune pour mourir était dynamique, pleine d’entrain et de projets. On s’était dit que je ferais mon quatrième stage en enseignement des mathématiques au secondaire avec elle. Malgré qu’on ne se côtoyait plus beaucoup, sa mort m’a donné un coup. J’ai beaucoup de peine en pensant à tout ce qu’elle n’a pu accomplir et aux élèves qui n’auront pas eu la chance de la connaître. La vie peut s’arrêter si rapidement. C’est l’un des éléments qui me motivent à me lancer pour traverser le Canada. Un rêve que j’ai depuis que j’ai commencé à faire du vélo, à la fin de l’été dernier. Un défi à mes yeux accessible, quoique difficile et périlleux. Il faut assurément une certaine innocence et une détermination à toute épreuve pour se lancer dans une telle aventure, les yeux fermés. Ce départ, pour moi, c’est un cri du cœur silencieux. Je suis mal dans ma peau, triste dans ma vie, je cherche une façon différente de faire les choses, parce que je me rends compte que, plus ça va, plus je ne fais que survivre au quotidien. La routine me tue à petit feu, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce que je vis c’est peut-être la crise de la «vingt-cinq-aine» : Tout lâcher pour un moment, avoir le temps de réfléchir, me concentrer sur moi, accomplir quelque chose, avoir un sentiment de réussite. Fuir les études, les responsabilités, le train-train quotidien. C’est le refus des conventions, le rejet du modèle imposé par la société. Je suis une marginale, qui l’eût cru?!
Bon, faisons les présentations. Je m’appelle Jessica Bélisle, une jeune femme de 25 ans étudiant à l’Université du Québec à Trois-Rivières en vue d’obtenir un double baccalauréat en enseignement au secondaire et en mathématiques, ainsi qu’un certificat en administration. Vous l’aurez deviné, j’ai des tendances hyperactives !
J’ai commencé le cyclisme un peu par hasard. Depuis mes débuts à l’université, je me rends à mes cours et au travail à bicyclette. Parfois, les gens se moquent un peu de moi parce qu’ils trouvent étrange que je me déplace ainsi alors que j’ai une auto. Pour ma part, j’éprouve un réel bien-être sur ma monture. J’arrive dans les cours réveillée, motivée et réceptive alors que d’autres peinent à garder les yeux ouverts et comptent sur le précieux appui de leur café pour suivre les enseignements des professeurs. C’est en réalisant tous les points positifs qui ressortent de mes déplacements à vélo que j’ai décidé d’accroître mes distances progressivement. Comment ce hobby est-il apparu dans ma vie, moi l’intello de service ? Lorsque j’étais en congé, j’allais faire la piste cyclable de Trois-Rivières, un 20 km tout plat, sur mon vieux vélo hybride. Puis, je n’ai plus été rassasiée de ce simple aller-retour, alors j’ai commencé à le faire deux fois. Rapidement, je me suis lassée de ce parcours et j’ai débuté l’exploration des campagnes avoisinant ma ville. J’ai commencé à gravir quelques côtes et, surtout, à croiser des cyclistes qui me dépassaient sur la route. J’avais envie d’aller vite moi aussi ! J’ai fait des recherches sur les vélos de route. Je me suis intéressée aux marques offertes, aux particularités de chaque modèle pour finalement décider d’entrer dans une boutique et en ressortir avec mon premier vélo de route. Ça a été le coup de foudre ! Dès le premier coup de pédale, je savais que j’avais trouvé ma passion et que jamais je n’arrêterais de pédaler. Moins de deux semaines après cet achat, j’ai participé au Gran Fondo de Mont Tremblant. Je venais tout juste d’apprendre à «clipper» comme il faut et je me suis lancée dans un 125 kilomètres vallonné et exigeant. À l’arrivée, étonnamment, j’avais encore beaucoup d’énergie alors que mes comparses semblaient morts de fatigue. Ça m’a mis la puce à l’oreille et j’ai continué de faire des sorties de plus ou moins cent kilomètres, quasi-quotidiennement. De fil en aiguille, on m’a conseillé de faire de la compétition de vélo, ce que j’ai fait. Seul bémol, les compétitions féminines sont courtes, autour de 40 à 50 kilomètres par course. Je me suis rapidement aperçue que ça ne me plaisait pas et que j’avais de la difficulté à gérer mon effort sur cette distance. J’arrivais à la fin des courses avec une réserve d’énergie encore bien remplie, alors que j’aurais dû avoir tout donné. Puis, est survenue une chute de vélo en compétition en avril dernier. Mon vélo était perte totale, j’étais amochée physiquement, mais surtout mentalement. C’est alors que j’ai décidé de retrouver le plaisir de rouler en accomplissant un défi incroyable, traverser le Canada à vélo. Pourquoi le Canada ? Honnêtement, c’est une bonne question ! Ça m’est venu assez spontanément quand j’ai commencé à penser à ce qui me ferait du bien. J’ai toujours rêvé de voir les Rocheuses. J’ai longtemps pensé qu’un jour je traverserais le Canada en voiture plutôt qu’en avion, pour m’imprégner de chacun des paysages, de chacune des provinces traversées. Or, il s’est avéré je ne suis pas fan des «road trips». Il me fallait donc trouver une autre façon de réaliser ce fantasme. L’idée du vélo s’est alors imposée, surtout que j’avais besoin de me reconnecter avec ma monture.
Mon passé de sportive est plutôt limité. J’ai toujours été active, dans une certaine mesure, mais c’était surtout pour faire plaisir à mes parents. Moi, j’étais bonne à l’école, mon frère bon dans les sports. C’est probablement pourquoi plusieurs personnes autour de moi pensent que je ne vais pas réussir. Il est vrai que de nombreux obstacles se dresseront devant moi et que je devrai affronter la solitude et les limites physiques de mon corps. Ça, j’en suis pleinement consciente! Je choisis par contre de partir avec la candeur d’une débutante, mais avec l’espoir d’apprendre sur moi, de me découvrir en tant qu’individu adulte et autonome. Mis à part ça, je suis une adepte des listes et des citations; vous l’avez sans doute déjà remarqué!
Si on s’attarde davantage à la logistique de mon périple, il est important de souligner que la durée totale ne peut dépasser un mois et demi. 45 jours, c’est le temps que j’ai devant moi avant de devoir revenir pour remplir des engagements à la fin du mois de juillet. Cela signifie que je devrai rouler un peu plus de 100 kilomètres par jour pour réussir mon objectif. Je partirai de chez-moi, à Trois-Rivières pour deux raisons. Premièrement, ce sera plus facile de rebrousser chemin en cas de pépin. Deuxièmement, l’atteinte des Rocheuses est le bonbon que je veux mériter d’obtenir! Essentiellement, je pars avec des vêtements pour deux jours, des tubes de rechange (8 pour être exacte!), une pompe de vélo de format moyen, une tablette, un cellulaire et… beaucoup de naïveté, de volonté et de courage!

4 juin 2015 (la suite)
Le plus grand plaisir dans la vie est de réaliser ce que les autres vous pensent incapable de réaliser. – Walter Bagehot
Jour 1 : Trois–Rivières – Gatineau (326 km)
L’angoisse de séparation parle. J’ai beaucoup pleuré, mais aussi savouré ma liberté pendant le trajet. Je vis une telle contradiction intérieure! On dirait que je ne comprends pas vraiment ce que je suis en train de réaliser. J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir et me dire que c’était infaisable, irréaliste et même inutile. Heureusement, le positif et les jambes ont gagné. Quel ambitieux projet que de me rendre à Gatineau la première journée! Mon but était de commencer ça en grand, de marquer un grand coup pour initier mon périple du bon pied et, en quelque sorte, pour ne pas reculer. Je me suis dit que plus la distance entre mon domicile et le point d’arrivée du premier jour serait grande, plus l’envie de continuer me paraîtrait inévitable. Déjà près de 400 kilomètres franchis! Mon premier arrêt significatif : Postes Canada à Montréal, un peu avant l’heure du dîner. J’ai renvoyé beaucoup d’éléments que j’ai jugés inutile (et lourds!) : revitalisant, crème hydratante… du superflu tout ça! On s’entend qu’on oublie aussi les cartes routières! Peut-être m’auraient-elles été utiles, mais je me débrouillerai sans. Après tout, je mets le cap sur l’ouest et je finirai bien par arriver… je crois!
Je connais très bien la route qui sépare Trois-Rivières et Montréal. La première partie de ma journée s’est donc déroulée à merveille. J’avais mes repères. Il faisait beau et j’en ai profité, malgré l’immense sac à dos que je traîne. Il faut dire que plus je m’éloigne de chez-moi, plus j’ai l’impression que le poids sur mes épaules diminue. La route par la suite était splendide. Je me suis même fait surprendre à chanter par un cycliste qui m’a dépassée. J’ai sursauté et j’ai énormément ri quand j’ai réalisé ce qui venait de se passer. J’ai aussi salué les vaches rencontrées au passage. Ça faisait du bien d’avoir de la compagnie! J’ai finalement frappé à la porte de mes hôtes, des amis de la famille, vers 18h30. Lorsque Suzanne a répondu, elle avait la mâchoire pratiquement décrochée. Rapidement, Jonathan s’est faufilé pour venir à ma rencontre. Ce petit garçon de 7 ans a rempli mon cœur de bonheur. Il semblait si impressionné de me voir arriver en vélo. Ça valait tout l’or du monde! Je me suis sentie vraiment «hot»! On a pris un excellent souper, il faut dire que j’ai rarement eu aussi faim, pendant lequel Steven et Suzanne m’ont raconté qu’ils avaient fait un pari avec leurs collègues et qu’ils l’avaient gagné! Leurs collègues étaient convaincus que jamais je n’arriverais à vélo, du moins jamais à temps pour le souper. Ils se feront payer un café, c’est mieux que rien! J’étais vraiment fière de leur avoir fait remporter leur pari symbolique. Je me suis couchée autour de vingt-deux heures, l’esprit libre et pleine de détermination. Juste avant de me mettre au lit, j’ai nettoyé et huilé la chaîne de mon vélo et gonflé mes pneus. Avant de m’assoupir, je sentais que j’étais prête pour le lendemain. Je vais tellement vivre une belle aventure!